L’anévrisme infecté aortique (AIA) représente environ 1-2% des anévrismes de l’aorte, et se démarque par sa rapide croissance, évoluant en l’espace de quelques semaines, et par sa morbidité accrue par rapport à l’anévrisme dégénératif. L’AIA est habituellement détecté lorsqu’il devient symptomatique, avec rupture ou prérupture fréquente à la présentation. Ses critères diagnostiques non standardisés obligent le clinicien à avoir un index de suspicion élevé. Le diagnostic peut être posé en combinant l’ensemble des données cliniques, biochimiques, hématologiques, microbiologiques et l’imagerie.
Présentation d’un cas d’AIA multiple avec imagerie rapprochée démontrant la sémiologie TDM de cette pathologie et sa rapide évolution chez un homme de 62 ans en post opératoire récent d’une résection antérieure basse pour néoplasie obstructive.
Questions :
1. Quelles trouvailles radiologiques peuvent aiguiller vers un anévrisme d’étiologie infectieuse?
2. Quel est le traitement médicochirurgical de l’AIA?
3. Le traitement endovasculaire est-il une alternative à l’approche chirurgicale?
L’anévrisme infecté aortique est un processus d’évolution très rapide causé par l’infection de la paroi aortique, le plus fréquemment par l’utilisation de drogue intraveineuse, une bactériémie sur un foyer infectieux à distance ou une procédure endovasculaire. Dans ce contexte, il peut y avoir inoculation par microembole dans les vasa-vasorum ou implantation au site d’un défaut intimal causé par un processus tel l’athéromatose. L’inoculation directe ou l’extension d’un processus infectieux adjacent peut également causer l’AIA (1). Un anévrisme infecté synchrone est parfois présent, justifiant l’investigation de l’ensemble de l’aorte. L’AIA peut évoluer vers le pseudoanévrisme avec coque formée de tissus péri-vasculaire, d’hématome et de tissus fibroinflammatoire. Dans notre population nord-américaine, les staphylocoques et les streptocoques sont les germes les plus fréquemment identifiés. La salmonelle est quant à elle le germe le plus fréquent des séries de cas asiatiques. Chez les utilisateurs de drogues IV, l’AIA peut être polymicrobien. Plus rarement, la syphilis, la fièvre Q, les mycobactéries ou les fongiques peuvent causer l’AIA (2).
La triade clinique classique de fièvre, douleur localisée et masse pulsatile n’est que rarement rencontrée. L’imagerie joue un rôle clef dans le diagnostic par certains éléments sémiologiques pouvant être retrouvés à la TDM. L’AIA est à majorité sacculaire ; 67-93% des cas adoptent cette forme. Des calcifications pariétales sont rarement observées contrairement à l’anévrisme dégénératif. Il peut être uni ou multiloculé. La paroi de l’anévrisme est de règle générale réhaussante et on retrouve une infiltration de la graisse péri-aortique à la tomodensitométrie. Lorsque la paroi évolue vers la nécrose, elle devient non réhaussante (1). Des bulles de gaz péri-aortiques typiques des infections bactériennes sont rarement retrouvées, dans uniquement 7% des cas environ (3). L’évolution est très rapide, la progression d’aortite à anévrisme se faisant en termes de quelques semaines selon une série de cas diagnostiqués d’un AIA ayant bénéficié de deux TDM rapprochées, la première étant jugée négative. Il avait été jugé dans cette parution qu’un suivi sur environ 2 à 3 semaines serait suffisant à diagnostiquer l’AIA si une suspicion clinique persiste après une première TDM négative (4).
Les images référencées démontrent les trouvailles typiques de l’AIA (Figure 1 et 2), avec suivi rapproché démontrant une détérioration importante en deux semaines (Figure 3). L’angioscan obtenu des figures 1 et 2 avait été effectué au 12e jour post-opératoire, en contexte de tableau septique et douleur abdominale, afin d’éliminer un abcès post résection digestive. L’évolution si rapide de multiples anévrismes élimine l’hypothèse d’anévrisme sacculaire sur ulcère pénétrant ou anévrisme dégénératif. Il ne s’agit également pas de la localisation d’un pseudoanévrisme traumatique en plus de la multiplicité qui milite contre cette hypothèse. Une atteinte vasculitique serait également très improbable par l’aspect et par l’absence d’anomalie d’autre système compte tenu de la sévérité de l’atteinte vasculaire. De plus, le patient était subfébrile et présentait une neutrophilie. L’association des données clinico-radiologiques a donc permis de retenir le diagnostic d’AIA. Il n’y a malheureusement pas eu de microorganisme identifié au bilan microbiologique, trouvaille toutefois fréquente ; 26% des hémocultures seraient négatives et 50% des cultures de paroi aortique s’avèreraient négatives (2). L’hypothèse retenue comme processus causal est celle d’une translocation bactérienne sur la néoplasie colique, l’aorte débutant déjà son processus pathologique aux TDM préopératoires effectuées 2 semaines avant le diagnostic. Le patient ne présentait pas de contexte d’immunosuppression, d’utilisation de drogues intraveineuse ou d’antécédent de procédure artérielle.
Le traitement de l’AIA se fait sous deux volets. Un traitement antibiotique d’au moins 6 semaines PO ou IV est habituellement administré (5). Un bénéfice potentiel est possible à un traitement au plus long cours si du matériel est laissé dans du tissu infecté afin de prévenir les complications infectieuses tardives très morbides ou s’il y a contexte d’immunosuppression. La couverture est initialement à large spectre, mais peut par la suite être ciblée au germe cultivé. Un traitement médical strict est toutefois insuffisant, avec quelques rares séries de cas démontrant une majorité de décès avec ce traitement seul(5,6).
Un débridement chirurgical du tissu infecté avec irrigation abondante et pontage si possible extra anatomique est le standard thérapeutique. Il est jugé préférable de débuter le traitement antibiotique avant la chirurgie, hormis si le patient présente des signes de rupture ou prérupture de l’anévrisme, ou un sepsis non contrôlé. Le pontage in situ serait une alternative généralement jugée acceptable (7), le pontage extra-anatomique étant associé à un risque accru d’amputation et de fuite au moignon aortique, en plus de la plus faible perméabilité à long terme (5).
L’endoprothèse vasculaire n’est pas recommandée hors risque opératoire prohibitif selon un consensus d’expert de 2008 de la Society of Thoracic Surgeons (8). Une étude rétrospective multicentrique de 2014 a toutefois démontré des résultats prometteurs avec survie à 30 jours de 91% et 5 ans de 55%. 19% des patients étaient toutefois décédé de complications infectieuses dont la majorité dans la première année, 11% ont nécessité une réintervention et 5% ont du être convertis en chirurgie ouverte avec mortalité importante. Les complications infectieuses étaient le plus souvent observées à la cessation du traitement antibiotique suggérant un besoin d’antibiothérapie long terme (9).
Un traitement par pontage aorto-aortique thoracique in situ afin d’exclure les anévrismes de l’aorte descendante et un pontage axillo-bifémoral avec ligature de l’aorte abdominale pour exclure un anévrisme infrarénal ont été effectués. Un traitement large spectre par Imipenem et Vancomycine pour six semaines a été effectué IV. Par la suite, il y a eu relais pour Avelox PO à vie en raison du matériel in situ et des traitements de chimiothérapie à recevoir pour la néoplasie colique. Au suivi à 9 mois, le patient présentait une thrombose de la composante fémoro-fémorale du pontage (figure 4), la jambe gauche demeurant toutefois perfusée par la droite par le réseau iliaque natif. À 24 mois post-procédure, le patient est libre de récidives infectieuses, mais présente malheureusement une récidive de néoplasie sigmoïdienne avec carcinomatose péritonéale.
Références
1 – Lee WK, Mossop P, Little A et al., Infected (Mycotic) Aneurysms : Spectrum of Imaging Appearances and Management. Radiographics 2008 ; 28:1853-1868.
2 – Miller D, Oderich G, Aubry MC, Panneton J, Edwards W, Surgical Pathology of Infected Aneurysms of the Descending Thoracic and Abdominal Aorta : Clinicopathologic Correlations in 29 Cases (1976-1999). Hum Pathol 2004 , 35 : 1112-1120.
3 – Macedo T, Stanson A, Oderich G, Johnson CM, Panneton J, Tie M, Infected Aortic Aneurysms : Imaging Findings. Radiology 2004 ; 231 : 250-257.
4 – Yasuhara H, Muto T, Infected Abdominal Aortic Aneurysm Presenting with Sudden Appearance : Diagnostic Importance of Serial Computed Tomography. Ann Vasc Surg 2001 ; 15 : 585-585.
5 – Hsu RB, Chen R, Wang SS, Chu SH. Infected aortic aneurysm : Clinical outcome and risk factor analysis. Jvasc Surg 2004 ; 40 : 30-5.
6 – Huang YK, Chen CL, Lu MS, Clinical, Microbiologic and Outcome Analysis of Mycotic Aortic Aneurysm : The Role of Endovascular Repair. Surg Infect 2014 ; 15(3) : 290-8.
7 – Oderich G, Panneton J, Bower T, et al., Infected aortic aneurysms : Aggressive presentation, complicated early outcome, but durable results. J Vasc Surg 2001; 34:900-908.
8 – Svensson L, Kouchoukos N, Miller C et al., Expert Concensus Document on the Treatment of Descending Thoracic Aortic Disease Using Endovascular Stent-Grafts. Ann Thorac Surg 2008 ; 85: S1-41.
9 – Sörelius K, Mani K, Björck M et al., Endovascular Treatment of Mycotic Aortic Aneurysm ; A European Multicenter Study. Circulation 2014;130:2136-2142.
Remerciement spécial au Dr Marc Antoine Despatis, chirurgien vasculaire au CHUS.