Il s’agit d’une jeune femme de 24 ans, sans antécédents médicaux, qui se présente à l’urgence avec un début soudain de nausée, vomissements et somnolence. Moins de 3 heures après son arrivée, elle se détériore rapidement, devenant stuporeuse et ne bougeant plus les quatre membres. Elle est intubée d’urgence.
À l’examen physique, on note une femme obèse, stuporeuse et incapable de collaborer. L’examen cardiovasculaire est normal et l’examen neurologique révèle une diplégie faciale, des pupilles isocoriques, un regard dysconjugué, un nystagmus multidirectionnel avec une tétraparésie asymétrique (gauche > droite) et des cutanés plantaires en extension.
Quel est votre diagnostic?
Le début brutal des symptômes suggère fortement un événement cérébrovasculaire, soit hémorragique ou ischémique. L’atteinte des mouvements extra-oculaires et la parésie bilatérale localisent la lésion dans la circulation postérieure avec une souffrance du tronc cérébral.
Un CT cérébral (Figure 1) sans contraste permet rapidement d`éliminer une cause hémorragique, soulevant la forte probabilité d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique dans la fosse postérieure. En effet, l’artère basilaire est hyperdense, ce qui est compatible avec une thrombose basilaire aiguë. Un angio-CT permet de confirmer l’occlusion basilaire (Figure 2).
Une occlusion de l’artère basilaire représente un des syndromes d’AVC les plus dévastateurs avec un taux d’handicap sévère ou de décès de 80%. L’évolution potentielle d’un tel AVC, s’il y a atteinte bilatérale de la protubérance, est le «locked-in syndrome» ou syndrome de verrouillage dans lequel le patient demeure anarthrique et tétraplégique avec une paralysie oculomotrice quasi-complète, tout en restant conscient.
Quelles modalités de traitement peut-on lui offrir ?
Le traitement optimal d’une occlusion basilaire demeure incertain (Schonewille WJ, Wijman CA, Michel P et al. Treatment and outcomes of acute basilar artery occlusion in the Basilar Artery International Cooperation Study (BASICS): a prospective registry study. Lancet Neurology 2009, 8 :724-30). Dans un contexte aigu, ce type d’AVC peut être traité par thrombolyse intraveineuse (IV), comme tout autre AVC ischémique dans d’autres territoires artériels. Par contre, vu le pronostic excessivement sombre de ce sous-type d’AVC, la fenêtre de thrombolyse est parfois prolongée jusqu’à 12 ou même 24 heures post-début, plutôt que le 4.5 heures pour les AVCs de la circulation antérieure. Dans cette même optique, une approche endovasculaire avec tentative de thrombolyse intra-arterielle (IA) et/ou d’embolectomie mécanique est souvent considérée pour ces patients. Cette modalité de traitement, initiée avec ou sans thrombolyse IV préalable, procure possiblement un plus haut taux de recanalisation, qui serait associé à une meilleure probabilité de récupération neurologique. La supériorité d’une approche dite « IV-IA » versus une approche IV seule demeure toutefois à confirmer dans des essais cliniques randomisés (Tomsick TA, Khatri P, Jovin T et al. Equipoise among recanalization strategies. Neurology. 2010 Mar 30;74(13):1069-76).
Notre patiente a bénéficié d’un traitement combiné de thrombolyse IV et embolectomie mécanique avec le cathéter MERCI (Figure 3, Figure 4). La recanalisation de l’artère basilaire était complète (Figure 5). Par contre les deux artères cérébelleuses supérieures sont demeurées occluses suite à des embolies distales du thrombus basilaire.
Quelles étiologies sont à considérer?
Bien que l’AVC ischémique soit perçu comme étant une maladie des personnes âgées, 10% de tous les AVCs surviennent chez de jeunes adultes de 18 à 50 ans. Les étiologies de l’AVC chez le jeune adulte sont plus variées, 60% étant des causes « classiques » (athérothrombose, embolie cardiaque, lacunes) et 40% des causes « atypiques », tel que dissection, thrombophilies, vasculite, drogues illicites, migraine et causes hérédo-génétiques (Putaala J, Metso AJ, Metso TM et al. Stroke. Analysis of 1008 consecutive patients aged 15 to 49 with first-ever ischemic stroke: the Helsinki young stroke registry. 2009 Apr;40(4):1195-203.).
La dissection artérielle explique 15-24% des tous les AVCs chez les jeunes, faisant de celle-ci la cause « atypique » d’AVC la plus fréquente dans cette population. Elle doit être exclue avec une imagerie vasculaire telle que l’angio-CT ou l’angio-IRM, ou parfois une angiographie cérébrale conventionnelle. Les investigations étiologiques du jeune adulte avec AVC devraient aussi comprendre un bilan cardiaque complet (avec Holter, échographie transoesophagienne ou ETO), un bilan thrombophilique, inflammatoire et vasculitique et, selon les facteurs de risque et les antécédents familiaux, un bilan infectieux, une recherche de drogues illicites, une ponction lombaire et des tests génétiques.
Notre patiente aurait récemment débuté une pilule contraceptive à base d’oestrogènes. De plus, un petit foramen ovale perméable (PFO) a été trouvé à l’ETO et des anticoagulants lupiques se sont avérés positifs. Elle a été mise sous Coumadin après fermeture percutanée de son PFO.
À la suite d’une réadaptation intensive, elle a connu une excellente récupération neurologique malgré des AVCs cérébelleux bilatéraux (Figure 6, Figure 7). Deux ans après son AVC, il ne lui reste plus aucune séquelle.