Maladie cardio-vasculaire: les femmes viennent de Vénus…

26 avril 2015

Maladie cardio-vasculaire: les femmes viennent de Vénus…

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Mme X est une dame de 66 ans qui souffre de dyslipidémie, d’hypertension artérielle et d’intolérance au glucose. Elle est obèse et c’est une fumeuse active. Elle se présente à l’urgence en fin d’après-midi en raison d’une vive douleur entre les omoplates qu’elle ressent depuis environ une heure. Elle mentionne se sentir faible et nauséeuse. Les signes vitaux initiaux sont normaux sauf pour une tachypnée à 30/minute. Le reste de l’examen physique est peu parlant. Devant son anxiété notoire, votre collègue lui prescrit un comprimé de lorazepam et la garde sous observation. En début de nuit, on vous appelle à son chevet, car elle est devenue dyspnéique; la tension artérielle est à 90/60 et sa fréquence cardiaque est à 95 battements/minute. Vous prescrivez un électrocardiogramme et faites installer un moniteur cardiaque. Des enzymes cardiaques sont alors demandés. Après avoir stabilisé votre patiente, vous jugez bon de demander une consultation en cardiologie au matin…

Questions :
1- La présentation clinique du syndrome coronarien aigu diffère-t-elle chez la femme et si oui, quels sont les symptômes atypiques les plus courants?
2- En quoi ces différences influent-elle sur la prise en charge initiale des patientes?
3- Globalement, les femmes qui présentent un syndrome coronarien aigu ont-elles une évolution moins favorable que les hommes?

Discussion

Le cas de Mme X soulève certains enjeux propres à la maladie cardio-vasculaire chez la femme, qui, bien que moins fréquente que chez les hommes, représente la première cause de décès chez les femmes d’Amérique du Nord (1). Des différences associées au sexe existent tant sur le plan des facteurs de risque, du mode de présentation, de l’accès aux procédures diagnostiques et thérapeutiques ainsi que du pronostic.

La douleur coronarienne « typique » n’est pas la norme chez la femme qui souffre de maladie coronarienne. Les symptômes de présentation du syndrome coronarien aigu les plus fréquents chez la femme, selon une étude incluant 515 patientes ayant souffert d’un infarctus du myocarde (2), sont la dyspnée (58%), la faiblesse (55%) et la fatigue (43%). Une large proportion (43%) des patientes qui en souffrent ne présentent aucune douleur thoracique. La douleur au cou, à la mâchoire ou au dos est plus fréquente que chez les hommes. L’intensité et le caractère de la douleur diffèrent également entre les sexes, les femmes décrivant souvent une douleur de forte intensité sous forme de brûlure.

Cette présentation atypique engendre inévitablement des délais dans la reconnaissance et les soins, tel qu’illustré dans l’exemple de Mme X. De plus, des disparités d’accès aux procédures angiographiques ont été démontrées, les médecins ayant moins tendance à référer leur patientes vers de telles procédures et ce, malgré des résultats anormaux aux tests non invasifs. Les données d’une étude incluant 598 911 patients appartenant au registre National Registry of Myocardial Infarction ont démontré que les femmes étaient significativement moins susceptibles de subir une coronarographie que les hommes (55.9% vs 69.1%); cette différence persistait après ajustement pour les co-morbidités et est demeurée stable tout au long de la période étudiée, soit de 1994 à 2002 (3).

Tout cela fait-il en sorte que Mme X, chez qui le diagnostic d’infarctus du myocarde a finalement été établi, a un pronostic plus sombre? La plupart des études ont effectivement démontré des taux de mortalité à court et long terme accrus chez les femmes. Selon les données du National Registry of Myocardial Infarction, la mortalité hospitalière des femmes subissant un infarctus du myocarde était de 16.7% comparativement à 11.5% pour les hommes (4). Dans l’étude RESCATE composée de 331 femmes et 1129 hommes ayant subi un infarctus du myocarde, la survie à 6 mois était significativement plus faible parmi les femmes (74% vs 89%) (5). Ces différences seraient toutefois attribuables à des facteurs tels l’âge plus avancé et un profil de co-morbidités plus lourd dans la population féminine atteinte de maladie coronarienne.

Ainsi, la maladie coronarienne chez la femme est une entité bien réelle qui doit être suspectée, reconnue et prise en charge selon les lignes directrices établies.

Références

  1. Mosca L, Manson JE, Sutherland SE, et al. Cardiovascular disease in women: A statement for healthcare professionals from the American Heart Association. Circulation 1997; 96:2468.
  2. McSweeney JC, Cody M, O’Sullivan P, et al. Women’s early warning symptoms of acute myocardial infarction. Circulation 2003; 108:2619.
  3. Vaccarino V, Rathore SS, Wenger NK, Frederick PD, Abramson JL, Barron HV, Manhapra A, Mallik S, Krumholz HM; National Registry of Myocardial Infarction Investigators. Sex and racial differences in the management of acute myocardial infarction, 1994 through 2002. N Engl J Med. 2005;353(7):671-82.
  4. Vaccarino V, Parsons L, Every NR, et al. Sex-based differences in early mortality after myocardial infarction. National Registry of Myocardial Infarction 2 Participants. N Engl J Med 1999; 341:217.
  5. Marrugat J, Sala J, Masia R, et al. Mortality differences between men and women following first myocardial infarction. RESCATE Investigators. Recursos Empleados en el Sindrome Coronario Agudo y Tiempo de Espera. JAMA 1998; 280:1405.